Chenin faisant

Danièle Sallenave de l'Académie française, suite.

...Le chenin est un plant qui fait des vins « de longue garde, solides et droits en leur vieillesse », dit Patrick Baudouin citant l’Essai sur l’histoire de la culture de la vigne dans le département de Maine-et-Loire (1876). Admirable définition des meilleurs vins et des meilleurs livres, « gouleyant, drets en goût et justificatifs », comme on dit dans la région de Nantes.
Chenin © Patrick Baudouin Sur les chemins du chenin, ou chenin faisant, c’est une histoire qui se déploie, se déplie. Une mémoire où se mêlent la viticulture et la culture tout court, les monastères, l’amour de la langue, des paysages, des vignobles, la sagesse du vigneron, une lumière d’automne sur les vendanges, des ciels nuageux, des printemps tardifs, la brume qui monte du fleuve. Son nom est mystérieux et ancien, entouré de synonymes pittoresques et parlants : pineau de Loire, pineau d’Anjou, pineau de Savennières, pineau de Briollay, gros-pineau de Vouvray, plan de Brézé, verdurant, blanc d’Anjou, confort, quefort, blanc d’Aunis, franc-blanc...
À lui seul, il réveille de vieux débats fraternels entre Anjou et Touraine, ses premières traces se repèrent entre l’abbaye de Glanfeuil et le monastère de Mont-Chenin.
S’il triomphe en Afrique du Sud, c’est que la révocation de l’édit de Nantes, fin XVIIème, avait chassé les huguenots de France. Les Vikings avaient repoussé les moines et le « vin breton », le cabernet franc, vers Chablis, où naquirent les vins de Bourgogne. Louis XIV a fait mieux : il a projeté le chenin aux antipodes. Où il fait une carrière éclatante.
Chenin doré © Patrick Baudouin L’histoire du chenin, c’est en quelques points du globe, une aventure de la terre et de l’esprit. C'est une épopée quotidienne, modeste dans sa pratique, immense dans ses effets : l’art séculaire d’allier le sol et le climat.
La haute qualité du chenin, ce qui le rend apte aux plus grandes réussites, c’est sa plasticité, sa remarquable souplesse, qui s’adapte aux traits particuliers d’un terroir pour en tirer l’essentiel. Ce plant robuste, solide et ingénieux, le chenin, rencontre un sol, un climat, une époque, et une personne, le vigneron : de là va naître, singulier, unique, irrépétable, un vin... Unique.
Ce qui appelle naturellement la comparaison avec l’art littéraire : rencontre d’une langue, d’une époque, d’un climat, et d’une personne, l’auteur. D’où naît, singulière, irrépétable : une œuvre.
Le temps, l’époque, l’humeur : le sol, le terroir, le climat.
Vendanges Chenin © Patrick Baudouin Un plant de vigne : racines, pied, sarments, feuilles et grappes. Une phrase : sujet, verbe, complément. Des adjectifs, un adverbe qui se greffent ici, et encore là. Simple et neutre. Tout est encore à faire. Organiser les mots, développer des phrases, reprendre, tailler, recommencer, laisser mûrir, surveiller la montée de la sève, la fermentation des images. Affaire de volonté, de travail. D’intuition. Engagement personnel, sacrifices, obstination, rigueur, même chose chez les deux, l’écrivain, le vigneron. De la patience aussi, et de la joie, de la gaieté quotidienne et manouvrière. Pour aller au cœur des choses, du sol, de la langue, extraire la plus fine saveur. L’écrivain, le vigneron, pareillement « abstracteurs de quintessence » (Rabelais)

Danièle Sallenave de l'Académie française.